Photo Thami Benkirane
Photo Thami Benkirane
(Peinture Holly Anderson)
Oeuvre Benjamin Matthew Victor
~
Aux chasseurs d’éternel
qui nous plombent les ailes,
En rusant de leurs mots
pour tenter de nous rendre
aveugles
au fragile de nos tours de sable
et sourds
au blessé des silences qui ont fini
par nous trouer l’âme,
Dans le vertige de nos rêves,
ces ailes à la peau nue
qui nous portaient si haut,
et qu’ils ont mutilées à coups
de certitudes,
À tous ces faux passeurs d’étoiles,
je dirai que nous sommes aussi
ce que nous avons failli être..
© BaBeL
Peinture Bill Jacklin
J’ai construit ma maison de l’autre côté de la nuit.
J’entends le frôlement de la lumière se poser
Sur le chant de l’oiseau qui crépite à ma fenêtre,
La décrue des heures sombres qui s’égouttent
Une à une en perles de mémoire à réinventer.
Désormais, chaque jour j’ausculte le destin,
Je tâte le pouls des fleurs ou des arbres
Et je règle mon pas sur celui de l’eau.
Mon âme, toute jeune encore, s’infuse
Au souffle du vent qui, dans ses méandres,
Me délivrera de l’Exil et me rebaptisera
Dans l’ivresse et le vertige du devenir..
© BaBeL
Photo Judith in den Bosch
sur le bord
rien ne se voit
rien ne s’écoute
rien ne se dit plus
entre deux ombres
un germe de feu
qui brûle sans flammes
un bruit d’eau sans eau
qui creuse l’attente
alors le jour se ferme
sur cet éblouissement
dans le noir qui hurle
entre les pierres
BaBeL
~
Un jour,
quand nos exils
se seront consumés
comme un flambeau
d’obscure lumière,
*
Dans une parfaite union
de la main et de la parole,
*
Un jour
je séparerai les eaux
pour que tu parviennes
jusqu’à moi.
~
© BaBeL
Peinture Karim Meziani
Il nous faudrait avoir l’humilité des pierres
Nues en offrande au ciel ou célées sous la terre
Sentinelles pétrifiées face aux effondrements
Toujours à résister contre vents et marées
Aux débords et folies des humains sans esprit
Niant la toute urgence à faire renaître en nous
Cette graine sacrée venue du fond des âges
En instance de prendre racine en nos coeurs
BaBeL (acrostiche 2020 modifié)
***
Je regarde le monde par la fenêtre
en écartant les volets
qui claquent au vent
et se referment sans cesse
sur le dedans
~
Moi je claque des dents, de peur
de n’avoir en cet instant
qu’une vision tronquée
du théâtre de la Vie
~
Le regard se blesse
sur une affiche déchirée, là
juste en face, sur un mur de désolation
où la vie s’abîme
~
Une fraction de seconde
où tout se fige
entre le prisme démultiplié
des perceptions visuelles
et la dissonance des voix de la Cité
~
Une fêlure du temps
à peine perceptible
qui suffit à en décoller les morceaux
et à m’épingler le coeur..
~
© BaBeL
***
Comme si le temps s’était arrêté à l’heure du silence
quand tout s’oppose en résistance au besoin du dire
~
Elle a cru qu’on pourrait lire sur les lèvres
mais les mots, un à un, se sont heurtés
au mur de ses dents – infranchissable
~
Elle a voulu écouter le murmure du vent mais le souffle
s’est dissipé avant même d’atteindre son sillage,
la mer avait tout avalé de sa vague gourmande
~
Les pages de son livre ont retrouvé le blanc originel
indissociable du non-paraître,
~
Laissant toute la place à l’imprenable des jours
de l’aube jusqu’au crépuscule,
comme si de rien n’était
~
© BaBeL
J’ai laissé des bouts de moi
des brisées en suspension
des pense-bêtes
Pour que tu n’oublies pas
de m’en défaire
à chacun de tes pas
Des petits bouts de moi
sous les semelles du vent
qui t’envole à tire-d’elle
Me laissant sans voie,
inaudible
éparpillée
invisible
dans les fractures du Temps..
© BaBeL
J’ai bu
La rosée du verbe
À la pâleur de l’aube
**
J’ai émietté
Sur mes lèvres
Le souffle du vent
**
J’ai respiré
À pleins poumons
Le murmure de la rivière
**
J’ai écouté
Le bruissement d’un rêve
Courant sur ma peau
**
Et pour m’éclairer
À la clarté de l’âme
J’ai avalé le jour
En crevant l’abcès du soleil
~
© BaBeL
En crevant l’abcès du soleil
Photo Edward Weston
Sur les bords de tes rivières
qui embaument la mer
sur le désordre des pierres
qui nous dénude un chemin
sur les dunes bleues
de nos déserts assoiffés
j‘ai couché les rêves
de tous nos lents demains
© BaBeL
Oeuvre Jaya Suberg
Ils ont ravalé leur parole
dans un reflux à marée basse,
sacrifié leur discernement
sur l’autel béni de la servitude
Ils ont porté aux nues la laideur
et pire encore, la médiocrité,
pour n’être pas exclus des rangs
du grand défilé de la Conformité
Ce théâtre des simulacres
joués sur la scène de leur vie
me donne toujours la nausée
Et si le prix à payer en est la solitude,
je célébrerai encore à cor et à cri
à contre-vers,
Libre et sans rimes,
la Beauté qu’ils ont foudroyée !
© BaBeL
Photo © Olivier Nesa
C’était une peur d’enfant, incontrôlable, qui l’avait lentement paralysé.
Au crépuscule de sa vie, il n’avait toujours pas réussi à se débarrasser de cette suie de l’enfance, comme une pollution inaltérable qui se serait infiltrée jusque dans son âme.
Mais à ce moment précis la peur s’était transformée en panique, comme s’il venait de naître et que personne ne l’avait prévenu.
Il venait de sentir un liquide chaud et salé qui empruntait le réseau sinueux des rides, de sa joue jusqu’au coin de la bouche puis de ses lèvres à son menton. Il reconnut à peine le goût de cette larme car il n’en avait pas versé depuis des siècles. C’était bon et doux comme une caresse sur sa peau tannée de solitude. Son coeur battait donc encore et lui servait à autre chose qu’à pomper son sang !
Il ne savait plus pendant combien de temps il était resté là, assis sur son lit et l’oeil rivé sur cette fenêtre ouverte sur le néant.
Il s’aperçut alors qu’une arme pendait entre ses cuisses comme un sexe mou. Il la rangea dans le tiroir de sa commode, décidé à s’en débarrasser la nuit venue. Pour lui qui pensait ne plus jamais être atteint par la moindre émotion, cette larme avait tout bouleversé en un instant.
Pendant toutes ces années il n’avait jamais ressenti de haine ou de rage envers quiconque, mais juste une profonde incompréhension face aux coups d’un destin qui ne l’avait pas épargné jusqu’ici.
Cette solitude qui l’avait accompagné durant tant d’années, la peur qui bien des fois s’était associée à elle et enfin ce mélange complexe d’émotions diverses qui l’avaient submergé à travers cette larme.. tout cela l’incitait à présent à sortir enfin de son vétuste appartement et à marcher droit devant lui, jusqu’à la plage déserte en cette fin de saison.
L’obscurité s’épaississait autour de lui et sa compagne de toujours finit par le rattraper juste au bord des vagues.
C’est alors qu’une unique question lui revint en tête, comme un boomerang –
« Pourquoi m’as-tu fait ça ? »…
© BaBeL
Oeuvre Suhair Sibai
~
Elle a semé l’épars
comme d’autres prennent racine
creusant un sillon qui se referme à chacun
de ses pas
Les traces délébiles de son chemin de croix
l’ont menée sans détours jusqu’aux portes
de l’Inaccessible
Ombre parmi les ombres
une tache encore trop visible à gommer
sur les pages blêmes de nos grimoires
Effacée par tous ceux qui ont fui
l’imploration de son regard
qui accuse
Elle s’est cognée aux angles saillants
de leurs évidences assassines
Telle une phalène piégée par la lumière
elle s’est abîmée contre nos murs
d’indifférence
Et elle verse une larme oubliée
comme une ultime prière
sur l’autel de l’Abandon
© BaBeL
Donnez-moi une épée
ou une baguette magique
J’aiguiserai l’une à la meule
du coeur pétrifié des morts-vivants
et je brandirai l’autre pour les achever
***
Donnez-moi un grain de sable
pour gripper les rouages des robots
délétères qui nous privent de libre arbitre
Ces leurres persistant finiront en poussières
ferreuses pour consolider les fondations
de nos Tours devenues imprenables
© BaBeL
Instiller la peur en solution létale
Nous inhibant de toute dissidence
Vouer le libre-arbitre à son stade final
Otages soumis à une vieille récurrence
Lubrifiée à souhait au gel de l’oppression
Usurpation du droit à décider nous-mêmes en
Toute liberté si nous voulons continuer à survivre
Incarcérés volontaires et résignés entre nos murs
Ou changer de paradigme et réapprendre à voler de
Nos propres ailes à ciel ouvert
© BaBeL (20/04/2020)
Oeuvre Karim Meziani
Ils se sont accordés en vibrations duelles
Au bout de leurs errances et des sursauts de l’âme
Entre eurythmies factices et distorsions cruelles
Ils ont gravé sur eux le même monogramme
Dans l’encre des fêlures au solvant qui les ronge
Ils se sont reconnus à la croisée des rêves
Enserrés en leur coeur pareil à cette éponge
Qui retrouverait forme au baiser de la grève
© BaBeL
Oeuvre de Nicolai Angelov
De l’Orient à l’Occident,
Tu parades sur ton cheval d’orgueil
En effeuillant tes rêves
un peu
beaucoup
à la folie
Tu n’auras laissé sur les miens
que cette fleur de sang
qui s’égoutte
encore
Aujourd’hui le soleil m’aveugle
Et toi,
quel temps fait-il sous tes paupières ?
© BaBeL
Oeuvre Jarek Kubicki
Je dansais à en perdre l’en-Vie
Dans tous les bastringues de l’oubli
Les musiques du silence m’avaient entraînée
Sans retenue sur ses rythmes discordants
J’ai trébuché en perdant pied sur les tapis
Trop élimés des plaisirs de contre-façon
L’ivresse vite retombée
Comme un rideau de théâtre
Au dernier acte joué,
Je suis restée seule
Sur la scène des apparences,
Marionnette désarticulée
Au milieu de nulle part
Avec mille précautions
Au fil de tes caresses
Tu as recousu mes déchirures
M’as remis l’eau à la bouche
En m’abreuvant à ta source vive
Ranimé l’ambre fossile de mes yeux
Défroissé une à une chaque parcelle
de ma peau de chagrin
Et en m’immolant
sur le bûcher de mes erreurs
J’ai compris que tu serais
ma dernière demeure
© BaBeL
(Oeuvre Julian Schnabel)
Je voudrais quitter mon corps
pour aller vivre ailleurs,
Là où l’instant de lumière
s’était posé près de nous –
Je voudrais déchirer la trame
de nos jours intranquilles,
Avaler tout le gris du ciel
et atteindre la transparence
Pour voir le vol des oiseaux
se refléter dans tes yeux..
© BaBeL
Oeuvre Suhair Sibai
Une ombre décalquée sur sa toile de mémoire
Naissance auréolée d’un augure virginal
En présage d’une vie à l’ombre des figuiers
Voilée par le brouillard chargé de cette révolte
Inondant les maquis qui s’embrasaient déjà
Elle ne pouvait pas voir plus loin que son berceau
Promesses non tenues à l’aube de sa vie
Où le ciel et la mer s’entachèrent de sang
Une larme de fiel a coulé sur sa terre
Rouge comme une grenade éclatée de soleil
Rivages innocents de son enfance volée
Irradiant de ces feux qui la faisaient trembler
Elle portait son regard vers un bonheur promis
Ne sachant pas encore qu’elle n’était pas d’ici
© BaBeL
Oeuvre Jaya Suberg
Des visages en délitescence
Près des yeux loin du coeur
En mal de préférence
Puis
Des mots à outrance
Ordalies en dissonance
Et à larmes blanches
Puis
Le gel du silence
Sur l’écran vide
Des évidences
© BaBeL
Oeuvre Jarek Kubicki
Elle a mal à ses jours
ils ne veulent plus
se réveiller
Elle a mal à ses nuits
un ciel aveugle
figé
quand elle ne rêve
que d’étoiles
________ même filantes
Un temps
suspendu
au gibet
de l’indifférence
et
________ de l’ineffable
© BaBeL
Photo Nick Knight (Paint explosions)
Astérie ondoyante sur l’ourlet d’une vague
Balayé par le souffle d’un monde qui s’embrase
Ruisselant sous les feux d’un midi qui s’incline
Il s’étire en langueur loin des forêts brûlées
***
Cerné par des vents qui défrisent les nuages
Ouvert à cor et à cri jusque dans ses entrailles
Témoin silencieux des nuisances humaines
Il reste ancré à cet ilôt de terre promise
Embrassant d’un clin d’oeil et le ciel et la mer
Reclus volontaire d’un Éden en fusion
© BaBeL
Sculpture Ousmane Sow
Tu n’as plus sur tes flancs
que douleur affamée,
offrant ta soumission
comme on jette les armes
à la fin d’un combat
sans vainqueur ni perdant.
***
Tu n’as plus dans tes yeux
que ce cri étouffé
déchirant le silence
de nos voix lapidées,
ce désert granitique
où l’écho nous renvoie
celles qui renaissent déjà,
exhumées de tes cendres..
© BaBeL
Oeuvre Allison Scarpulla
Il y a des jours
et puis des lendemains
comme des rêves,
aussi difficiles
à palper
que la misère,
Avec son pas qui creuse la soif
et ses mains qui ne retiennent
plus l’eau.
***
Pourtant
il y a cette lumière,
Cette flamme
à peine perceptible
qui tremble dans l’obscur,
Cette espérance
en germe,
À nous faire croire
encore
à la promesse de l’aube..
© BaBeL
Oeuvre Sabin Balasa (1932-2008)
Laisser venir à toi
ce qui n’a pas de nom
T’abreuver à la source
de l’obscure dépossession
Te laisser vider par le temps
comme ce coquillage par la mer
Et entendre toujours sa rumeur
qui gronde au creux de ton oreille
Tel un hommage posthume
à toutes tes désertions
© BaBeL
Oeuvre Dante Gabriel Rossetti (1828-1882)
(Beatrice, study for Dante’s Dream)
Il resta de marbre quand son chien le sortit du lit comme tous les matins. Tel un automate il s’approcha de la fenêtre. La girouette qui grinçait l’extirpa de son ivresse de la veille et, dans la rosée qui perlait sur la vitre, il aperçut un cheval sans cavalier qui franchissait le muret au fond du jardin.
Dans une fulgurance de sa mémoire, il revit distinctement la scène de son cauchemar où il avait tenté en vain de s’accrocher à la crinière d’un cheval pour ne pas sombrer dans les eaux noires d’un marécage.
Un livre ouvert au hasard lui avait échappé des mains pendant cette évasion propice. Dans la splendeur de l’hiver, un duel au pistolet devait avoir lieu à l’aube pour laver l’offense faite à l’inspiratrice de toutes ses pensées.
Ce jour-là il fut troublé de reconnaître sur l’étal d’un marché la couverture du livre perdu au cours de son rêve. Et il fut pris de panique lorsqu’il s’aperçut que ce roman décrivait précisément toutes les étapes du voyage sacrificiel qu’il avait entrepris en dormant, pour l’amour d’une femme trahie et de cet enfant des murailles qu’elle portait en elle.
© BaBeL
Oeuvre Jean-Paul Schmitt
J’ai repeint les murs
en bleu outremer
le sable a crissé
dans mes tympans
pourtant
c’est autre chose
La nuit s’évapore
en gouttes d’impatience
sur la vitre de la fenêtre
déjà embuée
Et je traverse les matins
dans le froid de ton absence
aveugle et sourde
sans toi
© BaBeL
« Capharnaüm » (photo du film de Nadine Labaki)
***
Irrépressible envie de se prendre au jeu des semblables
Modélisant leurs vies au fil barbelé des certitudes
Pesant le pour et le contre sur la balance des injustices
Atlantide perdue dans l’abîme des rêves piétinés
Se souviendront-ils encore de l’innocence des premiers matins
Sans interdit au royaume des fruits non défendus
Et des sens inviolés
© BaBeL
Oeuvre Yahne le Toumelin
Intrusion de scories migratoires lestées de mort en sursis
Narcose des impuissants à réprimer cette lave nourricière
Cerner les entraves qui gênent la progression du flux
Évaser la sclérose qui nous bouche les yeux et le coeur
Niveler toute aspérité résiduelle des origines refoulées
Dissoudre les concrétions de consciences meurtries qui résistent
Inhérence à l’instinct de survie quand la mort s’acharne
Attiser le feu qui réduira tout en cendres jusqu’à l’absolution
Inoculer le poison létal dans ce qui étouffe déjà au coeur du vivant
Regarder une dernière fois les tours de babel s’écrouler une à une
Et se consumer corps sans âmes dans le brasier rouge sang de l’infamie
© BaBeL
Oeuvre Dora Maar
Tout au bord de l’incertitude
les mots résistent encore un peu
avant de tomber comme lettres mortes
des pages du livre de sa vie,
inachevé
Ils avaient grandi en elle,
renforcés par des vents récurrents
la livrant aux métaphrases parodiques
de lecteurs hypothétiques
d’occasion
Délestée
du fardeau des méprises et des attentes,
elle tomba enceinte d’un vide immense
Dépossédée
mais perméable comme une éponge
en mal de mer
Elle ne se nourrit plus désormais
qu’à l’éphéméride
des mots passants…
© BaBeL
Photo Friedrich Grohe
Il est des jours
où le trop plein se vide
quand le vide se plaint
de trop
Il est des jours
où les mots renflés
de présomption s’évident
de leur sens
Et ne laissent filtrer
en leur déliquescence
qu’une vibration
muette
Sur l’onde étale
un frémissement
immobile
une opalescence
© BaBeL
Oeuvre Karim Meziani
Une fissure dans le bleu
un fragment d’Azur
éclaté
Une partition
délavée
en notes
subaquatiques
Une musique qui pénètre
en la mémoire
tremblée
d’un Ailleurs exaucé
© BaBeL
Oeuvre Patrice Murciano
Je voudrais saigner le silence
Le leur offrir sur un plateau d’argent
Me rendre sourde à ce fracas des voix
Qui me dérivent en m’éloignant de toi
On ne les entend plus et pourtant ils me parlent
Leurs voix se perdent dans des abîmes de fureur
Sans bruit
Qui s’essoufflent sur des océans d’accalmie
où la tempête nous déchaîne encore
Leurs mots se cognent à la porte scellée
De mes lèvres et finissent par rendre l’âme
Pendus à la corde du silence
© BaBeL
Oeuvre Tommy Ingberg
Dériver du droit fil de la pensée
Un ange passe au milieu du discours
Biaiser le torrent des mots qui dévalent
Infiltrant les moindres fissures de l’intime
Trépaner le cerveau des apparences
Asphyxiant les racines du discernement
Transmuer sa certitude en doute majeur
Indissociable de toute bonne partition
Oblitérer l’évidence des sentiers battus
Normalisés jusqu’à l’indiscernable
© BaBeL
(acrostiche modifié le 9/08/2019)
Oeuvre Antonio Mora
J’ai dans l’eau de mes yeux une vague d’océan
Brisée par les tempêtes et les colères du ciel
Elle charrie avec elle le cri des goélands
Et le chant des sirènes à l’arrière-goût de fiel
J’ai au fond de la gorge un poison lancinant
Il emperle mes lèvres et rend à mes baisers
Le goût ineffable du fruit gorgé de sang
Où les amants de proie viennent s’y enivrer
J’ai au creux de mes mains tous les sables mouvants
Les déserts et les mers enroulés à mes doigts
Ont tissé une voile où s’engouffrent les vents
Et s’échangent les rêves des mendiants et des rois
© BaBeL
Oeuvre Tchoba
Aujourd’hui encore elle se demandait comment elle avait pu ce jour-là échapper à la vigilance de sa mère.
Elle s’était soudain retrouvée dans les rues d’un centre ville étonnamment désert en ce début de mois de juillet, s’étant donné pour mission d’aller chercher sa soeur aînée à la sortie de son travail. Elle avait accéléré son pas, un peu oppressée par cette chape de silence qui pesait sur elle.
Sa mère ne lui avait-elle pas rabâché de ne pas sortir seule car depuis quelque temps on retrouvait des cadavres atrocement mutilés de femmes et surtout de très jeunes filles à l’extérieur des villes.
La plupart du temps, elle étaient kidnappées dans les voitures qui n’arrêtaient pas de sillonner les rues depuis la déclaration d’indépendance, et les restes des corps étaient disséminés dans les champs alentour.
Les trottoirs étaient complètement déserts et Sara sentit son coeur s’emballer à la vue d’une voiture surgie au coin de la rue.
Elle se trouvait à mi-chemin quand elle eut la franche sensation d’être suivie. Elle se retourna pour s’en assurer et se trouva face à une vieille berline aux vitres teintées. Elle ne parvint pas à distinguer les visages du conducteur et des passagers mais, gagnée par un très mauvais pressentiment, elle décida de rebrousser chemin et de regagner le plus vite possible son domicile.
Elle se mit bientôt à courir comme une folle, s’imaginant déjà sous la totale emprise de ses ravisseurs. Sans arrêter sa course, elle se retournait régulièrement pour voir si le véhicule la suivait toujours et c’est alors qu’elle l’aperçut à nouveau, roulant à faible allure derrière elle.
Il ne lui restait qu’à atteindre le bout de la rue, la traverser et en s’engageant dans l’avenue perpendiculaire, elle serait presque arrivée devant son immeuble. Elle souffrait à présent d’un point de côté lancinant qui lui coupait la respiration, mais elle s’efforça de garder le rythme. Cours Sara, cours, cours..!
Encore un petit effort, se dit-elle, alors que son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine et qu’elle dégoulinait de sueur.
« Tu n’vas tout de même pas finir ta vie de cette façon-là, dans ce pays qui n’est plus le tien et que tu t’apprêtes à quitter dans quelques jours. Tu n’peux pas mourir déjà, à ton âge c’est beaucoup trop tôt..! Cours Sara, cours, mais cours plus vite ! »
À bout de souffle, elle traversa la rue et s’aperçut que la voiture avait freiné et s’engageait dans la contre-allée bordant l’avenue de sa résidence. Elle regarda autour d’elle et fut un peu soulagée de croiser un vieux couple sur le trottoir. Le véhicule roulait toujours au ralenti, à environ trente mètres derrière elle, quand enfin elle put pénétrer dans le hall de son immeuble et qu’elle se mit à grimper quatre à quatre les escaliers des six étages la séparant du refuge familial.
Arrivée devant sa porte, elle tambourina de toutes ses forces et quand sa mère lui ouvrit, elle s’effondra en larmes dans ses bras, presque au bord de l’évanouissement.
Depuis ce jour-là Sara n’eut plus qu’un désir, fuir cette terre baignée des bleus de son enfance.
© BaBeL
Oeuvre Jaya Suberg
J’ai bu le soleil d’un trait
et me réchauffe à l’intense
de tes mots
au versant d’un été
immobile
© BaBeL
Au loin
une Tour de guet accrochée au ciel
se projette dans le bleu insensé de la mer
L’arche des palmiers m’ouvre un chemin
d’ombre et de lumière où j’avance mes pas
sans savoir où je vais
Chaque jour l’oiseau déchire de son chant le voile
de l’aube et enfin livrés au soleil tous ces jardins
qui éclatent en gerbes multicolores
La brise marine exalte les effluves persistants
des citronniers quand les jasmins retiennent
encore leur souffle jusqu’au crépuscule
J’étais là
Au-delà de cette frontière qui ne m’est
que blessure
Là où je n’étais plus que moi
© BaBeL
Oeuvre Rimel Neffati
Si je pouvais t’offrir l’immensité du ciel
Et ses nuées d’oiseaux venus d’autres pays
Si je pouvais t’offrir toutes les langues de Babel
Et ce chant de la mer qui prolonge la nuit
Avec tout cet amour à l’étroit dans mon coeur
Je les déposerais en offrande à tes pieds
Mais je n’ai que rêves mis à nu sans pudeur
Ne marche pas sur eux ils pourraient s’ébruiter
© BaBeL
Oeuvre Ernesto Garcia Pena
J‘ai rêvé d’une Porte
qui ne s’ouvrirait que de l’intérieur
Une porte du Dedans sans clé ni serrure
qui nous préserverait des leurres et des fêlures
J’ai rêvé d’une Porte
sans embrasure ni saignée sur les murs
Juste un droit-d’entrée à l’évasure de ton amour
où je ne perdrais plus mon centre car il serait Partout
© BaBeL
Photo Philip McKay
Je voudrais mourir dans tes cheveux
mais avant
Je voudrais boire une dernière fois
dans la coupe de tes mains offertes
cette eau claire qui prend source
dans ce tendre jailli de toutes
tes saisons en enfer
Comme le chant de l’alouette
qui colore de mille éclats l’aube pâle
du jour recommencé tu me dirais que
l’amour est toujours innocence
Tu déchirerais le voile de mes peurs
secrètes et m’embraserais tout entière
au feu de tes lèvres affamées
Tu soufflerais sur ma peau le sirocco
de cette terre lointaine qui coule encore
dans mes veines et tu me ramènerais
Là-bas
Où le vent du Désert s’essouffle
sur les dunes éternelles
© BaBeL
(Oeuvre Tchoba)
Quand ton regard devient regard
ton coeur s’arrête un peu
juste le temps d’expurger
l’invasif de tous tes fragments
éclatés
ces sédiments de rêves coagulés
qui engorgent tes artères
de Vie dense
Quand ton regard devient regard
tu n’entends plus toutes ces voix sourdes
éparpillées
et tu ne vois plus que le cri étouffé
en des corps de silence
© BaBeL
Elle poussait à l’intérieur
d’une autre façon qu’aujourd’hui
Une averse l’avait faite éclore
sur un lit de prières ensevelies
Cette semence des cieux
qui avait traversé tous les déserts
et coulé jusque dans ses veines
Cette sève asséchée depuis
par des vents trop brûlants
n’aura laissé en elle
que
cette écharde au repli de son coeur
© BaBeL
Oeuvre Zao Wou Ki
Je suis ce bateau désenivré
échoué dans un jardin
Trop vert
À la merci de la pluie et des vents
Il avait pourtant hissé haut dans les voiles
son dernier rêve d’un changement de cap
Il l’a fait chavirer de bord
et l’a couché sur cette terre
Trop fertile
Là où les vers se sont repus de tous
ses Bleus Outremer
© BaBeL
Oeuvre Jarek Kubicki
Le moment où la moiteur des corps
vient rompre l’invisible
Où des débris de rêve se déposent
sur le saillant du tangible
Ce moment de grâce au point du jour
quand le monde reprend forme peu à peu
sous les paupières
De longs silences épuisent la lumière
qui s’infiltre dans les fissures des volets
en violant les secrets de la nuit
Ils s’imprègnent tout doucement de bruits
de formes et d’odeurs dont ils ne savent
rien encore
Un rayon de soleil vient aveugler le jour
du drap nu de l’oubli
© BaBeL
(Oeuvre Montserrat Gudiol)
J’ai gardé sa lumière
dans l’humide de mes yeux
J’ai gardé sa chaleur
dans ma solitude sans aile
J’ai bu toute sa peine
dans le verre vide de ses exils
Elle reste toujours en moi la Mère
que je n’ai pas choisi d’être
Elle est celle que je cherche
Elle
que je reconnaîtrai
dans les Bleus Espaces sans chemin
© BaBeL