Domicile fixe

 

L’une après l’autre il souleva ses paupières, rouillées comme les rideaux de fer des vieilles boutiques.Il jeta un regard autour de lui et ne vit que les haillons de tous ses jours de solitude amoncelés en un tas informe au milieu de la pièce. Comme cette écume de pollution qui retourne à la boue en s’échouant sur les rives de l’humanité. Alors il referma les yeux un instant et se revoyait enfant jouant dans la forêt, jamais lassé par la beauté de cette nature première riche de tant de promesses.

Il n’était pas seul. Une silhouette se découpait dans les stries d’un soleil blafard sur le sol de sa chambre. Il se sentit brusquement comme projeté dans un miroir ouvert sur sa mémoire.L’immeuble était vide de ses occupants et il était sorti pour s’assurer que le vieux panneau « à louer » était toujours accroché au mur lézardé de la façade. Le panneau était tout rouillé mais il était bien là, même si l’inscription était devenue illisible et même presque invisible à force d’attendre.

Une vieille image lui revenait en mémoire, comme ces cadavres qui finissent toujours par remonter à la surface des eaux noires que l’on tente d’ignorer. Le visage sans expression de son père lui était apparu derrière la fenêtre, tel un oiseau en cage qui ne rêverait même plus de s’échapper. Le visage de cet homme sans nom le poursuivait encore parfois jusque dans son sommeil.
Ce jour-là il se souvenait avoir dévalé à toute vitesse les escaliers et, une fois à l’extérieur, avoir couru le plus loin possible jusqu’à ce que la silhouette de cet homme qu’il ne voulait plus reconnaître disparaisse entièrement de son champ de vision.

Une pluie d’été, douce comme la caresse d’un ange, dilua une à une toutes les strates de souvenirs de son enfance.
Se sentant enfin libre, il décida de faire le vide dans sa chambre et d’inscrire son nom sur la porte.

 

8 commentaires sur “Domicile fixe

  1. plumasson dit :

    Des mots me parlent…

  2. Leodamgan dit :

    Des souvenirs qui grincent un peu au début puis se diluent avec le passage du temps.

  3. bruno dit :

    Nous sommes de  » rouille et d’os « , les valises on les traîne, on les ouvre, on les ferme.

  4. L'Ornitho dit :

    Joli et délicat.

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